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Le Paraguay, vu de là-bas

 

Théâtre de rue

les Art-terriens, le 7 mars 2011,

 

 

Notre première rencontre avec Don Koki remonte à notre passage à San Ignacio en 2008. Nous avions alors présenté notre spectacle « Tu es qui, toi ? » dans une salle qu’il venait de créer « El Molino ». Koki est un peintre reconnu du Paraguay, il porte beaucoup d’intérêt à la culture guarani, jésuite et paraguayenne. Quand nous le lançons sur le sujet, il est intarissable. A travers ses peintures et les évènements culturels qu’il organise, il valorise les richesses locales découlant d’une histoire originale de métissage entre la culture baroque des moines venus d’Europe et la culture autochtone guarani il y a 400 ans, qui constitue aujourd’hui l’identité des paraguayens vivants dans le département de Misiones et notamment des habitants de San Ignacio.


Avec Koki, nous décidons de mener une semaine de travail artistique avec la participation de sa fille Makarena. Une présentation en public du travail effectué doit clôturer la rencontre. Makarena rassemble un groupe d’adolescents, pour la plupart des jeunes filles, et pour la plupart des danseuses. Il n’y a en effet qu’un seul garçon. Les jeunes viennent de différents quartiers de San Ignacio et d’Asunción. Comme ce sont les grandes vacances, certains sont venus pour l’occasion se détendre dans la région de Misiones. De notre côté, nous motivons Martin, notre hôte, pour qu’il se joigne à nous, il vient ainsi tenir compagnie au seul petit gars parmi les jeunes filles mobilisées par Makarena. Au total, le groupe comprend 12 jeunes âgés de 10 à 15 ans. Pour tous, il s’agit d’une première expérience de théâtre.


Nous organisons des sessions de travail chaque soir de la semaine, du lundi au vendredi, de 17h à 19h, au moment où la chaleur du soleil décline. Ces séquences de deux heures de travail s’étirent à trois, quatre heures… à mesure que nous approchons de l’échéance de la présentation. Le groupe est motivé et regarde peu les horaires, ce qui compte c’est d’être satisfait et fier de son travail final.

art-terre - théâtre de rue

 

Le premier jour, nous faisons connaissance. Pour que le groupe ait une idée du style de théâtre que nous allons pratiquer, nous jouons quelques extraits de notre spectacle « Tu es qui, toi ? ». Nous en profitons pour réfléchir ensemble sur les manières d’exprimer un propos, de raconter une histoire sans utiliser la parole, mais plutôt le geste, les mimiques, la danse, la musique… et commençons à nous mettre en jeu avec des exercices simples et drôles pour détendre l’ambiance dès le début.

Puis, nous définissons ensemble le thème du spectacle. Quelqu’un propose le bicentenaire de l’indépendance du pays, qui va se célébrer dans deux mois. Nous choisissons aussi de profiter de la matière qu’offre la rencontre de nos deux cultures distinctes, paraguayenne et française. Après un temps de travail sur le fond du spectacle et sur les idées que nous voulons traiter, quelques mots clés ressortent : identité/identidad, mémoire/memoria, amitié/amistad, culture/cultura, liberté/libertad, union/unión.


Le lendemain, la pluie a cessé, nous permettant de nous installer au milieu de la verdure, sur l’herbe bien verte du terrain de volley qui borde la maison de Koki. L’objectif de cette seconde séance est d’entrer vraiment dans la pratique théâtrale à partir de l’élaboration de personnages. Mais comment créer un personnage ? Par sa démarche, par ses mimiques, par sa gestuel, par son caractère… Comment créer une attitude théâtrale ? Par son regard, par la clarté de ses gestes, par la précision et la décomposition de ses déplacements et de ses actions… Après l’expérimentation, il faut choisir et adopter chacun les caractéristiques de son personnage.

Dans la foulée, nous créons deux groupes, l’un représentant les Paraguayens et l’autre, les Français. Chaque groupe, pour être reconnaissable, élit un geste commun symbolisant son appartenance soit à la France soit au Paraguay.

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Le troisième jour, nous proposons des jeux d’improvisation. L’idée est de provoquer des rencontres entre un paraguayen et un français. Que se passe-t-il alors ? Par groupes de deux ou trois, les jeunes s’isolent dans des recoins sous les arbres du bosquet, sur la terrasse ombragée, au milieu de la prairie… pour inventer leurs histoires. Puis, chacun présente sa création devant les autres : rejet, indifférence, curiosité, peur, amusement, complicité, entre-aide… Les propositions sont chouettes, émouvantes pour certaines, drôles pour d’autres… et constituent une base solide pour le spectacle. Commet manquer d’inspiration dans un lieu si paisible et si beau !

Nous travaillons chaque scène en améliorant le jeu théâtral de chaque acteur pour préciser les histoires et les rendre plus lisibles aux yeux des spectateurs. Nous nous appuyons aussi sur des exercices de groupe sollicitant l’écoute, la concentration, les techniques de jeu…

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Pour donner de l’envergure au spectacle, nous souhaitons intégrer les talents et les intérêts de chacun. Tout d’abord, nous pouvons utiliser notre musique française, mais aussi et surtout, la danse, pratiquée par une majorité des participantes. Nous cherchons à découvrir comment la danse peut laisser entrevoir une histoire, comment la position du corps peut représenter un état, une action, un sentiment... Nous nous amusons à casser la frontière entre les gestes mimés du quotidien et les pas de danse, l’univers imaginaire devient magie, une accolade devient une valse, la bombilla devient une flûte, la France devient le Paraguay, le Paraguay devient la France… Nous rigolons beaucoup !


Le quatrième jour, nous continuons à travailler les scènes. Les filles créent leurs chorégraphies. Une danse classique sur une mazurka, des pas de polkas paraguayenne sur un cercle circassien… Le résultat est convainquant et nous l’ajouterons au spectacle.

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De notre côté, entre deux ateliers, nous réfléchissons à la mise en scène, à la cohérence et à l’ordre des scénettes, nous imaginons des moments pouvant servir de lien entre les petites histoires. Au fur et à mesure du travail avec les jeunes, les idées émergent et s’enchainent, comme portées par une logique intrinsèque, tout d’abord inconsciente mais qui prend tout son sens au final. Emerge ainsi l’idée d’une progression de la relation entre le groupe des paraguayens et celui des français… Mais oui, les bannières sont si ressemblantes comment ne pas y avoir pensé avant !!! Notre spectacle prend alors des couleurs bleu-blanc-rouge, ou rouge-blanc-bleu, ça dépend de l’angle, du regard et des personnages… des bretelles ou des ceinturons…


Le dernier jour la trame du spectacle est callée, il faut alors la répéter, se la mettre dans la tête, se l’approprier, jouer avec, se sentir à l’aise et fin prêts. En parallèle, nous élaborons les costumes en une confection artisanale de banderoles tricolores et d’épingles à nourrisse sur fond noir. Une chaise comme accessoire, nos instruments de musique et le tour est joué.


Koki annonce qu’il va amener toute la troupe à la ville d’Encarnación, à 150 kilomètres de là, juste à la frontière avec l’Argentine, au sud du pays. Les acteurs vont présenter devant des inconnus, c’est l’idée, pour qu’ils n’aient aux yeux du public, que le rôle et la position d’acteurs, et non de camarade de classe, de copains de foot ou de voisins. Le lieu de la présentation est décidé la veille ! Pas de soucis, c’est du théâtre de rue ! Pas besoin d’autorisation pour jouer sur la place publique.


L’échéance arrive le samedi. Après une dernière répétition, la troupe se répartit dans deux véhicules, conduits par Koki d’une part, et par sa femme Norma, d’autre part. Certains parents se joignent au convoi… ils ne veulent surtout pas rater ça ! Nous arrivons à Encarnación au moment où la nuit tombe sur la ville, dans un décor flamboyant de coucher de soleil. La première se fera sur la Costanera, une promenade construite tout récemment qui longe la rivière à l’entrée de la ville et attire de nombreux flâneurs. Choix des lampadaires pour un bel éclairage, préparation des costumes… Nous jouons quelques mélodies pour attirer les curieux et annoncer le spectacle. Les jeunes sont déjà sur scène, figés en attendant le signal. Les spectateurs s’enthousiasment, des passants peu habitués à ce genre de prestation s’arrêtent interloqués, d’autres regardent de loin, ou encore arrêtent leur voiture pour regarder par la fenêtre… Le spectacle ravit autant les spectateurs que les acteurs ! Du coup, ce serait trop dommage de s’arrêter là ! Direction la place centrale de la ville où des familles savourent la fraicheur relative du soir, où des enfants jouent au ballon ou à la balançoire, où les amoureux s’embrassent sur les bancs publics. Nous lançons la deuxième… et c’est déjà fini, hélas !

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Pour clôturer la soirée en beauté, Koki invite toute la bande à déguster une pizza en terrasse, le tout arrosé de quelques gouttes. Nous avons eu de la chance, la pluie qui était tombée toute la journée à torrent s’est arrêtée pour nous laisser jouer ! Le mot qui ressort de cette rencontre théâtrale et qui, tel un hymne, conclue la création collective, est finalement celui d’Amistad, d’Amitié… une amitié possible au-delà des cultures grâce à la Culture.


Sur ce, en toute amitié,

Gaëlle et Fabien

 

 

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