Le Paraguay, vu de là-bas

 

El Pa’í

les Art-terriens, le 15 mars 2011,

 

En 2008, alors que nous étions à Asunción, nous avions cherché à rencontrer le Père Oliva, sans succès car il était en déplacement au moment de notre passage. On nous avait raconté son engagement dans des actions qui avaient participé à provoquer l’alternance politique et à chasser le parti de la dictature du pouvoir, lors des élections présidentielles de 2008. Nous savons aussi qu’il travaille auprès de la population du quartier Bañado Sur, un quartier très pauvre de la ville.


Dès notre arrivée au Paraguay, afin de rattraper ce raté, nous recherchons notre Homme. De l’Université Catholique du centre ville, on nous renvoie sur le secrétariat de la cathédrale, puis à la paroisse Cristo Rey, et ailleurs encore. En fin d’après-midi, nous sommes en toute logique aux portes du quartier Bañado Sur, munis d’un numéro de téléphone. Dans la boutique où nous entrons pour téléphoner, nous avons l’impression de pénétrer chez les gens. Il y a deux ordinateurs pour internet, un téléphone avec un compteur dans une cabine dans laquelle il fait trop chaud. Un ventilateur pourrait nous rafraichir, mais son boucan est incompatible avec une conversation téléphonique. La jeune femme, derrière son comptoir vitré, vend aussi des confiseries et des cigarettes. Le Père Oliva nous répond. Quand pouvons-nous nous rencontrer ? Tout de suite si vous voulez ! L’échange est bref et efficace. Carmen vient à notre rencontre pour nous conduire au Centre Mil Solidarios, où vit le Père Oliva. Le lieu est propret, ce qui change de la rue où l’eau stagne et répand son odeur de croupi. Des enfants courent de toute part, il y a vraiment de la vie dans cet endroit !

 

art-terre - Mil Solidarios

Pa’í, c’est ainsi que son entourage l’appelle avec affection, est un homme de plus de 80 ans, au large sourire. Sa complicité et sa proximité avec les jeunes qui l’entourent nous surprend. Pa’í vit depuis environ 15 ans au Paraguay, il est déjà venu dans les années soixante, sous la Dictature de Stroessner, pour donner des cours de communication au sein de l’Université Catholique d’Asunción. A cette époque, il tombe amoureux du pays, de la dynamique de la jeunesse et va jusqu’à se faire naturaliser paraguayen. Son engagement dans des actions pour la citoyenneté le conduit à être expulsé du pays en 1969. Il se réfugie en Argentine au moment où surgit la dictature qu’il décrit comme extrêmement violente comparé à celle qu’il avait connu au Paraguay. Il vit ensuite huit années au Nicaragua et quelques temps au sud de l’Espagne, sa terre natale. Il revient enfin au Paraguay en 1996 et s’installe auprès des gens les plus nécessiteux, à Bañado Sur. C’est en effet, comme il le dit lui-même, auprès des personnes les humbles qu’il trouve sa raison d’être. Il est scandalisé par le clientélisme du pouvoir oligarchique qui laisse les habitants dans le besoin. Au fil de la conversation, quand nous lui présentons notre projet, les yeux du Pa’í s’illuminent et les échanges de regards complices avec Carmen s’intensifient. Il nous propose de participer à une cession de formation des jeunes du Parlamento Joven, qui aura lieu dans une dizaine de jours. Nous pourrons rester vivre avec lui dans le Centre Mil Solidarios le temps qu’il nous faut pour mener nos activités et découvrir le quartier. Nous qui voulions partager et connaitre un peu la vie du Pa’í et le quartier, c’est parfait !


Une dizaine de jours plus tard, nous sommes de retour au Centre Mil Solidarios, Pa’í nous reçoit et nous installe dans une chambre où se trouvent quatre lits superposés balayés par le souffle régulier de l’hélice du ventilateur suspendu au plafond. Une douche est à notre disposition, nous pouvons utiliser le réfrigérateur et la cuisine communautaire. Durant la journée, le centre est très vivant, fréquenté par les enfants du quartier et tout le personnel qui les encadre. La nuit, nous restons seuls avec le Pa’í. Comme le quartier n’est pas très sûr à la nuit tombée, nous devons cadenasser les portillons qui conduisent à la rue.


Le Pa’í nous explique l’essence de son travail : il veut permettre aux Paraguayens les plus démunis de s’emparer de l’avenir de leur pays. Selon lui, la population de Bañado Sur est endormie par la forte misère qui renferme les gens sur eux-mêmes. L’implication citoyenne, notamment la participation aux élections, est dérisoire. Certaines personnes en âge de voter ne sont pas inscrites sur les listes électorales, d’autres encore n’ont même pas d’acte de naissance, ils n’existent donc pas légalement car leur naissance n’a jamais été enregistrée.

art-terre - Mil Solidarios

Pour le Pa’í, la première marche vers la citoyenneté passe par l’Education : apprendre à compter et à écrire, mais surtout permettre aux personnes qui ne sortent jamais de leur quartier, d’entrevoir un autre horizon possible que leurs rues si familières jonchées de détritus et d’eau croupie.

Dans ce sens, il a mis en place au cœur du quartier de Bañado Sur un Centre d’Attention Familiale chargé d’accompagner les familles en difficultés avec une aide sociale et juridique. Au sein de ce centre, est proposée une formation secondaire pour les jeunes filles-mères afin de leur permettre de continuer leurs études tout en assumant leur nouveau-né. Une aide juridique et psychologique est apportée aussi aux femmes et aux enfants ayant subis des maltraitances.

Le Pa’í propose aussi des bourses aux familles du quartier, pour inciter à la scolarisation des enfants. En effet, dans les milieux pauvres, les enfants sont une source de revenus non négligeable pour la famille, lorsqu’ils vont vendre des bricoles dans les bus, nettoyer les pare-brises, recycler les détritus… Les bourses comblent ce manque à gagner en contrepartie de la scolarisation des enfants. Le Pa’í essaye qu’au moins un enfant de chaque famille ait la chance d’aller à l’école. Les bourses sont affectées de façon raisonnée : dans une famille, l’enfant le plus consciencieux et le plus volontaire est privilégié.


Au Centre Mil Solidarios, où nous résidons, les enfants reçoivent un soutien scolaire pendant les vacances et le temps extrascolaire. Ils découvrent les valeurs à travers l’apprentissage de savoir-faire tels que la coiffure, le sport ou des activités artistiques. Pendant qu’ils sont au centre Mil Solidarios, ils ne traînent pas les rues et peuvent saisir une chance de se sortir de leur milieu défavorisé.

Parmi les jeunes qui fréquentent ce lieu, certains s’investissent dans des travaux communautaires et forment ce qui est appelé ici le Ministère de l’Enfance ; un premier pas vers la citoyenneté. Nous passons plusieurs matinées avec eux à nettoyer un parc du voisinage, équipés de sacs poubelles, de machettes et de râteaux.

art-terre - Mil Solidarios


Le travail de conscientisation citoyenne initié ici auprès des enfants, trouve sa continuité dans des actions auprès d’adolescents du pays entier, ainsi qu’auprès des adultes du quartier Bañado Sur.

Selon le Pa’i, éveiller à cette conscience politique et citoyenne, passe aussi par la diffusion d’idées et de pistes de réflexion dans les médias, pour toucher le plus grand nombre. C’est pourquoi il écrit des chroniques dans le journal Ultima Hora, anime des émissions quotidiennes dans deux radios d’Asunción et publie ses pistes de réflexions sur un blog internet.


A suivre…


Gaëlle et Fabien

 

 

 

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