Le Paraguay, vu de là-bas

 

Baignés dans Bañado

les Art-terriens, le 17 mars 2011,

 

Ce matin, au lever du jour, nous accompagnons le Pa’i au cœur du quartier Bañado pour une émission de radio qu’il anime. Les gens, ici, disent « descendre » à Bañado Sur, et désignent le quartier par l’expression « en bas ». Il est vrai que le quartier Bañado Sur est géographiquement situé le long du fleuve Paraguay, en contrebas de la ville d’Asunción, mais ces expressions en disent aussi long sur ce que représente ce quartier aux yeux des habitants.


Une route partiellement asphaltée s’enfonce dans une courbe étroite dont on ne voit pas la fin. C’est l’entrée du quartier. Il y a toujours une personne au milieu du virage pour indiquer aux véhicules si la voie est libre. En effet, l’étroitesse de la rue ne leur permettrait pas de se croiser. Un muret de pierre permet de canaliser l’eau coulant des hauteurs de la ville, mais celui-ci se fait vite déborder, surtout lors des fortes pluies de ces derniers jours. Une partie de l’eau parvient à rejoindre le ruisseau souillé par les égouts de la ville et finit son chemin au premier carrefour des rues de sable, et stagne, chauffé par le soleil, dégageant son odeur nauséabonde en attendant de s’évaporer.

A quelques centaines de mètres, une autre rue permet de descendre dans Bañado. Elle est défoncée par les dernières pluies et les camions de poubelles qui y passent. Ceux-ci conduisent les ordures jusqu’à la décharge de la ville, la Basura, située à l’orée du quartier. Nous voyons le va-et-vient des vieux engins, chargés de leur fardeau quand ils descendent, vides quand ils remontent, avec  la montagne de déchet en toile de fond.


Nous pénétrons le quartier, guidés par le Pa’í. En cette heure matinale, les rues sont encore endormies. Les quelques personnes que nous croisons nous saluent gentiment. Nous arrivons en peu de temps au local de la radio communautaire Solidaridad. Le Pa’í a aidé à la création de cet espace d’expression populaire qui est un véritable lien entre les personnes du quartier. Le Pa’í nous invite à présenter notre initiative et à expliquer la raison de notre visite à Bañado, au début de son émission. Puis, une fois notre conversation radiophonique terminée, il propose que nous allions nous promener en attendant qu’il termine son programme, en soulignant à l’antenne que le quartier est habité par des personnes très sympathiques et accueillantes.

Nous nous laissons aller au hasard des rues, qui à cette heure, sont maintenant réveillées. La musique très forte s’échappe de quelques maisons. Un gamin chevauche une moto à benne trop grosse pour lui. Des charrettes passent, tirées par des chevaux trop maigres, et semblent sortir d’une autre époque ; seul leur chargement de bouteilles en plastique, de cartons ou de boîtes de conserves collectées dans les ordures rappellent que nous sommes bien en 2011… Parfois, c’est un énorme quatre-quatre aux vitres teintées qui passe entre les nombreuses motos. Les animaux aussi se promènent et nous croisons tantôt un cheval seul, une truie avec ses petits, des chiens errants, des poules …

art-terre - Bañado Sur

La plupart des maisons du centre du quartier sont de briques et de tuiles et ne diffèrent pas de celles d’autres quartiers populaires. C’est quand on s’écarte un peu, que les conditions deviennent plus critiques. Certaines maisons sont construites de carton, de planches et de sacs plastiques. Des tas d’immondices envahissent les jardins. D’autres habitations ont les pieds dans l’eau souillée. Et puis, au milieu de ce désordre, on trouve parfois une belle maison qui contraste avec le décor,  avec un beau jardin fleuri et une balançoire, celle de quelqu’un qui a réussi à s’en sortir sans sortir du quartier !

Au milieu de cette hécatombe, nous sommes frappés par la gentillesse des gens, leurs sourires, leurs salutations… une sympathie qui tranche avec l’hostilité du milieu.


art-terre - Bañado Sur

 

Cette première promenade, puis de nombreuses autres au cours des journées suivantes, nous permettent de découvrir bien des secteurs de Bañado, qui s’apparente, malgré son ambiance de village, plutôt à une ville. Le Pa’í nous précise qu’ici, vivent environ 17000 personnes !

Afin d’en savoir plus sur les habitants de ce lieu, nous allons à leur rencontre en compagnie de Carmen et de son amie Maia. Une dame du centre du quartier vit ici depuis 45 ans. Elle nous raconte que Bañado, situé entre la bute de la capitale Asunción et le fleuve Paraguay qui délimite la frontière avec l’Argentine, n’était qu’un marais. D’où son nom, sans doute. Les gens sont venus de l’intérieur du pays pour la plupart il y a une trentaine d’années. Les familles quittaient les campagnes pour des raisons économiques, la ville éveillait l’espoir de trouver plus de revenu, d’ouvrir un négoce… Au fil des années et encore aujourd’hui, des membres de chaque famille rejoignent les premiers migrants, nous raconte la femme. Les nouveaux arrivants s’installent là où ils peuvent, sur un coin de la parcelle de leurs parents. Parfois ce coin se résume à un tas d’ordures, parfois à une mare d’eau stagnante. Les nombreux arrivants ont comblé, d’années en années, les marécages avec des gravats, de la terre, des ordures et tout ce qu’ils avaient à portée de mains. Encore aujourd’hui des familles viennent s’installer et le quartier continue de grandir… il y a encore beaucoup de zones insalubres à combler…


art-terre - Bañado Sur

 

Ca’acupemi est un sous-quartier de Bañado, où nous continuons notre visite. Nous nous enfonçons entre les habitations, dans des chemins boueux, analysant bien notre trajectoire pour ne pas nous retrouver les pieds dans une flaque d’eau crasseuse. Sous nos yeux se dévoile une misère encore plus extrême : les gens vivent les pieds dans les eaux usées, les alentours des habitations sont envahis de tas d’immondices, les gens ont parfois à peine l’espace pour poser une chaise sur la terre ferme. Nous sommes choqués par ces conditions de vie indescriptibles.

art-terre - Bañado Sur

 

Nous y rencontrons Alejandra, qui y vit avec sa famille. Sa maison est proprette et bien arrangée. C’est comme deux mondes juxtaposés, celui de la maison d’Alejandra, et celui de l’extérieur ! Elle nous dit que ça a été beaucoup de travail pour remblayer le terrain et agrandir la petite maison initiale. Alejandra a 15 ans. Elle accepte à la fois avec timidité et entrain, que nous lui posions quelques questions. Sa famille vivait du côté de Conception, une ville au nord de la partie orientale du pays, avant de venir s’installer à Bañado, il y a quatorze ans. Là-bas, vivent toujours ses grands-parents, mais seuls son père et sa mère retournent au pays leur rendre visite. Pour des raisons économiques, elle ne fait pas partie du voyage. Bien sûr, elle n’a aucun souvenir de là-bas, nous confit-elle. Son père travaille comme maçon, et sa mère est employée depuis peu au centre de soin du quartier.

art-terre - Nañado Sur

En ce moment, ce sont les grandes vacances, alors Alejandra reste chez elle. D’habitude, elle sort pour aller au collège, à quelques pâtés de maison de là, mais rentre toujours dès que ses cours sont terminés. Elle ne fréquente pas ses voisins, ni d’autres personnes que sa famille, car la forte misère génère  beaucoup d’insécurité, beaucoup de jeunes tombent dans la consommation de drogues et la spirale qui s’ensuit. Elle nous explique qu’elle ne sort jamais du quartier non plus. Les deux seuls lieux qu’elle connait sont finalement son collège et sa maison.

Nous lui demandons comment elle trouve sa vie ici, comment elle aimerait vivre dans le futur… Alejandra nous répond que ça vit lui convient… qu’elle ne sait pas… qu’elle n’a pas d’idée… que ça va… Sa réponse nous surprend énormément ! Comment ne pas rêver d’autre chose quand on vit dans un tel environnement ! Nous aurions tellement d’idées, d’envies, pour améliorer notre condition de vie, rendre notre environnement plus agréable !

Avec un peu de recul, la réponse d’Alexandra  est peut-être logique : Comment avoir des envies quand on n’a pas d’autres horizons que les rues sales de son quartier ? Comment imaginer une vie que l’on n’a jamais vue ?  Comment rêver de quelque chose que l’on ne sait pas ?

Hors la majorité des jeunes du quartier sont nés ici, et n’ont vu que leur rue. Pour eux la normalité est de vivre ainsi, dans ces conditions…

 

De retour dans le centre du quartier de Bañado, où les maisons et les ruelles sont mieux aménagées, nous rencontrons une famille arrivée depuis peu. Paulino et sa femme Margarita nous racontent leur histoire. Ils viennent d’une petite ville de l’intérieur où ils tenaient une boutique de plantes médicinales, mais leurs revenus étaient très insuffisants et ne donnaient pas à leurs enfants l’opportunité d’étudier dans de bonnes conditions. Paulino est d’abord venu seul à Asunción, en reconnaissance, pour trouver une situation économique plus viable. Il a trouvé un travail temporaire dans le quartier de Bañado. Une fois les conditions préparées, il est allé chercher toute sa famille et a monté un négoce. La petite famille, toute équipée de tabliers oranges, se lance dans la préparation et la vente d’empanadas, de chipas guasu, de hamburgesa et de milanesa maisons. Ici il y a beaucoup de clients, nous explique Paulino. Il a fait le choix de pratiquer des tarifs peu élevés pour que tout le monde puissent venir acheter, il y a en effet beaucoup de gens pauvres ici, explique-t-il, pensif. Et les gens apprécient beaucoup la bonne cuisine de sa femme !

art-terre - Banado Sur

Paulino nous confit son désarroi de voir, dans ce quartier, vivre des gens aux dessus des ordures, dans des minuscules maisons sur pilotis faites de bric et de broc, et d’autre personnes qui vivre dans des maisons en dur avec un gros quatre-quatre garé dans la cour, et ces mêmes personnes jeter leurs propres ordures devant leur propre portail ! Paulino et Margarita nous montrent qu’ils sont conscients de la misère générale mais pour eux, l’éducation de leur fils Ramon passe avant tout. Celui-ci a obtenu une bourse d’étude délivrée par la fondation du Pa’í Oliva, ils ne veulent pas rater cette chance. Dans l’intérieur du pays, les bourses comme celle-ci n’existent pas, nous indique Paulino. Alors les enfants n’ont pas d’autres choix que de travailler pour aider leur famille.

A force de baigner dans Bañado, nous nous familiarisons avec l’environnement et parvenons à dépasser la forme du lieu pour rentrer petit à petit dans la relation humaine. Paulino nous invite à revenir gouter les mets de sa femme, qui sont effectivement très bons.

Lorsque nous remontons pour rejoindre le Centre Mil Solidarios, les rues nous apparaissent bien propres et les maisons confortables, une vision loin de la première que nous avions eu… comme quoi tout est relatif, tout dépend d’où on vient et de ses références !


A bientôt, Gaëlle et Fabien

 

 

 

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