Le Paraguay, vu de là-bas

 

Le Parlamento Joven, société civile organisée

les Art-terriens, le 8 avril 2011,

 

Nous continuons notre découverte du travail que mène le Pa’í Oliva en direction des jeunes, qui sont, selon lui, les sculpteurs et les garants de l’avenir. Une de ses actions phare est le Parlement des Jeunes, el Parlamento Joven, qu’il a créé en 1997. Il s’agit d’un mouvement citoyen offrant  un espace de formation et de réflexion sur la société, la citoyenneté, l’économie, la politique…  L’objectif visé est de donner aux collégiens et aux lycéens les connaissances nécessaires pour imaginer le Paraguay de demain et l’exprimer clairement. Les adolescents bénéficient de formations pointues, puis organisent et animent eux-mêmes des moments de réflexion, de rencontres, de travaux pour développer et transmettre leurs pensées. Selon lui, la longue durée de la dictature a forcé la population à s’effacer dans le silence. Il faut réhabituer les gens à parler, à s’exprimer en public, il faut que les gens réalisent qu’ils ont un rôle à jouer dans la construction de leur pays.


art-terre - parlamento joven


Notre premier contact avec le Parlamento Joven remonte à l’année 2001, quand Gaëlle était venue au Paraguay dans le cadre d’un échange interculturel proposé par l’Association SCI (Service Civil International). A l’époque, les jeunes parlementaires qu’elle avait rencontrés, âgés de 14 à 22 ans environ, étaient nombreux et organisés. Après avoir été formés,  ils proposaient à leurs tours, dans toutes les Universités du pays, une sensibilisation aux sciences politiques, dans le sens de connaitre les domaines de compétences et d’action de la politique, de comprendre ses mécanismes et ses conséquences, de pouvoir utiliser cet outil pour construire la société future. Il ne s’agissait pas d’inculquer une couleur politique ni de former un parti, mais plutôt de donner une connaissance générale sur les enjeux de la politique dans la société d’un pays, de permettre aux jeunes de se découvrir en tant que citoyens paraguayens et non pas seulement en tant qu’habitants du Paraguay. Cette promotion d’une conscience citoyenne visait l’échéance des prochaines élections présidentielles de 2008, avec l’objectif d’apporter une possibilité d’alternance politique, de faire en sorte que les futures élections ne soient plus menée comme les fois précédentes, par un parti unique, celui de la Dictature mais par une pluralité de partis. Les membres du Parlement des Jeunes étaient rassemblés sous une forme associative laïque, sans couleur politique, dont le nom complet était « Parlamento Joven, Asociación 2008 », rappelant l’objectif à atteindre : la date butoir et symbolique des prochaines élections présidentielles.

 

Lorsque nous revenons au Paraguay, par hasard et par chance en 2008, le président Lugo vient  juste d’être élu, grâce à un très large rassemblement de différents partis politiques, ayant tous pour but commun d’en finir avec le parti Colorado. Cette première alternance depuis la fin de la dictature, en 1989, est un événement historique soulevant un espoir incroyable pour une très large majorité de la population de tous niveaux sociaux, et qui permet enfin d’envisager la construction de la démocratie, la liberté d’expression et l’égalité pour tous. Le Parlamento Joven, dans ce sens, a atteint son objectif !

 

Notre venue aujourd’hui en 2011 est l’opportunité de retrouver quelques uns des anciens du Parlamento Joven, et de connaitre leurs parcours et leurs situations actuelles, 10 ans plus tard.

Un premier ancien nous explique que le Parlamento Joven a éveillé chez lui un grand intérêt pour la politique et une volonté de s’engager. Comme le mouvement du Pa’í ne proposait pas de structure politique, il s’en est peu à peu éloigné pour s’investir dans un parti politique. Il nous explique que beaucoup ont fait comme lui, et plusieurs de ses collègues ont des postes au sein du gouvernement actuel, élu en 2008. Le Parlamento Joven sert à éveiller une conscience politique, c’est une première étape, continue notre interlocuteur. Selon lui, l’entrée dans un parti politique est une seconde étape logique, et la prise de responsabilité au sein de ce parti est la troisième étape qui permet d’atteindre une position de prise de décision au sein des instances politiques du pays : assemblée, ministère, mairie... C’est dans cette optique que lui s’est engagé. Un jour, il a été révélé que certains dirigeants du parti au sein duquel il militait ont eu des liens avec la guérilla locale du Paraguay (l’Ejercito del Pueblo Paraguayo), ce qui a fortement décrédibilisé tous les membres du parti. Suite à cet évènement, il a finalement laissé tomber son engagement parce qu’à chaque prise de position, ses détracteurs l’assimilait à la guérilla. Aujourd’hui, il est professeur et journaliste indépendant durant son temps libre.

D’autres ont suivi un peu le même parcours, jusqu’à finalement rejoindre le parti Colorado qu’ils avaient jusqu’alors combattu, pour privilégier leurs carrières professionnelles.

D’autres, au contraire, poursuivent leur action et travaillent au sein d’Organisations Non Gouvernementales, qui visent à améliorer la société paraguayenne. Parmi ces ONG, Base IS est une structure qui se charge de faire des études sur les problématiques sociales du pays (atteinte aux Droits de l’Homme, pauvreté, migrations forcées…) et de proposer des alternatives économiquement viables pour améliorer la société de manière globale. Le CEJ (Centro de Estudios Judiciales) vise à construire et à mettre en place la démocratie participative dans le pays, en travaillant sur les textes fondateurs de la société, et en informant les citoyens sur la place qu’ils ont à prendre dans la construction de leur lieu de vie (à l’échelle de la Municipalité, de la Région, de la Nation).

 


L’élection de 2008, qui avait suscité tant d’espoir, semble finalement aboutir à une forte désillusion, même si de grandes avancées ont été gagnées : l’accès gratuit à la santé pour tous, la nouvelle loi d’organisation des Municipalités qui instaure et organise la démocratie participative et donne beaucoup de poids aux organisations de la société civile (associations). Les couches les plus pauvres n’ont pas vu leur condition s’améliorer nettement. La pluralité du gouvernement en a fait une machine non gouvernable qui n’a pas permis au président Lugo d’accomplir ses principales promesses, notamment la réforme agraire pour redistribuer la terre.


La consommation, qui a explosé au cours des dernières années, génère plus de vols et d’agressions que les journaux télévisés n’oublient pas de mettre en avant. Il en résulte un sentiment d’insécurité croissant, qui stigmatise les plus pauvres et replie les gens sur eux-mêmes.

Les dernières élections municipales, qui ont eu lieu fin 2010, ont montré un retour massif de la population vers le parti de la dictature et une abstention trop importante. Selon le Pa’í , il faut de nouveau rassembler et conscientiser les jeunes, sinon, les élections de 2013 risquent de permettre au parti Colorado de se réinstaller au pouvoir, ce qui serait du temps de perdu pour le pays…

Pour cela, il est en train de lancer un nouveau Parlement des Jeunes. Il nous avoue que mobiliser aujourd’hui est bien plus difficile qu’avant.  L’arrivée de la société de consommation désinvestit les jeunes de la question citoyenne, le matérialisme fait oublier les valeurs de solidarité et d’engagement.

Le bien matériel endort les gens… tout comme la misère. Deux situations contraires qui conduisent au même effet…

Un premier noyau est né : le Nouveau Parlamento Joven est en marche ! Lors de notre séjour avec le Pa’í, nous avons l’occasion de rencontrer une dizaine de ces jeunes parlementaires, âgés de 14 à 23 ans.

 

 

art-terre - parlamento jovenCe samedi matin, nous accompagnons Pa’í jusqu’au centre ville d’Asunción. Le chauffeur du bus, dans un geste de reconnaissance envers le prêtre, nous offre le trajet. Nous descendons sur la place centrale, la Plaza de la Libertad, et rejoignons la place voisine, la Plaza de los Heroes. Nous y retrouvons un groupe de jeunes du Parlamento Joven, juste en face du Panthéon élevé en l’honneur des grands hommes ayant participé à la construction du pays. Chaque samedi matin, les jeunes se retrouvent sur cette place symbole de la liberté, devant les marches du monument. Accompagnés du Pa’í, ils tendent une banderole sur laquelle est inscrit « Sociedad civil organizada », Société Civile Organisée, et sortent un hygiaphone, qui passe de main en main. A tour de rôle, chacun dispose de 5 minutes pour exprimer une pensée, un point de vue sur un aspect social, économique ou politique de la société paraguayenne. Les jeunes s’habituent ainsi à exprimer leurs idées, sans honte et de manière concise, face aux passants.


art-terre - parlamento jovenAvant de se lancer, ils semblent nerveux, chacun concentré sur sa prochaine prise de parole. Nous sentons l’appréhension, mais tous se font violence pour la surmonter. Après une brève introduction du Pa’í pour expliquer le pourquoi de cette prise de parole publique, les jeunes parlementaires proposent une mise en scène théâtrale dénonçant les mécanismes pervers de la corruption. Les discours abordent ce jour-là les thèmes de la gratuité de l’éducation et la situation de l’Université publique, la nécessité d’une réforme agraire face à la concentration de la terre… Quand la présentation est terminée, la fierté gagne le groupe, l’appréhension passée laisse la place à l’euphorie.


Toute la bande se retrouve ensuite au Centre Mil Solidarios pour partager le repas de midi. Le reste du week-end est studieux, avec l’intervention de plusieurs professionnels. Luis est économiste et travaille dans une ONG d’investigation sociale.

En introduction de sa présentation, il définit l’économie comme la science de la satisfaction des besoins de l’être humain. L’économie a un rôle central puisque tout dépend d’elle : la santé, le logement, l’habillement, la nourriture, l’éducation… L’économie peut ensuite être orientée de manière à satisfaire les besoins et procurer du mieux-être pour tous les Hommes, ou servir à des fins de pouvoir et d’intérêts individuels. C’est là qu’entre en jeu le politique.

Luis explique que le diagnostic de la situation économique d’un pays passe par l’observation de ses secteurs d’activité économique  et de la répartition de la richesse générée. Le Paraguay est un pays très peu peuplé, bénéficiant de terres fertiles et de grandes réserves d’eau. Au niveau industriel, le Paraguay ne peut pas rivaliser avec ses deux gigantesques voisins, l’Argentine et le Brésil. Ses deux principales ressources sont donc l’agriculture et l’énergie hydroélectrique. Luis fait observer une très irrégulière répartition des richesses au Paraguay, puisque 2% de la population possède 85% des terres fertiles, tandis que 40% n’en possède que 5%. Cette situation économique est due selon lui à un processus historique. Ce qui a fondamentalement bouleversé le Paraguay d’hier à aujourd’hui est le passage d’une agriculture familiale et diversifiée maintenue par les paraguayens eux-mêmes et destinée au marché national, à des monocultures industrielles intensives de propriétaires étrangers dont la production est destinée à l’exportation. Ce changement, qui a débuté au début du 20ème siècle et qui a explosé depuis l’introduction clandestine des cultures transgéniques au cours des années 2000, influe évidemment sur le mode de vie et de consommation dans le pays, sur la quantité de travail et la distribution des aliments, sur la concentration de la terre, sur la migration de la population, sur le rapport avec les pays voisins ou importateurs… Ce sont les effets. Le rôle du politique est de prendre des mesures qui orientent l’économie du pays pour agir sur ces effets en fonction de ses objectifs prioritaires : le profit individuel ou bien le bien-être social.

Par exemple, les grandes entreprises qui cultivent notamment le soja transgénique pour l’exportation, participent à la forte croissance économique du Paraguay, un peu plus de 14% en 2010 ! Mais cette croissance ne participe pas à l’amélioration des conditions de vie de la population : ni travail supplémentaire puisque la technologie agroindustrielle ne nécessite pas de main d’œuvre, ni ressources publiques pour l’amélioration des conditions de vie de la population puisque l’imposition est ridicule… C’est l’intervention de Milena, le lendemain, qui amène les jeunes à réfléchir sur ce lien entre la croissance économique et le développement social. Les méninges des adolescents turbinent !

Et le Pa’í de conclure : « Et maintenant, quel programme politique et quels projets de lois proposez-vous pour les prochaines élections en 2013 ? Voilà votre travail d’ici notre prochaine rencontre dans un mois. »

 

Le Pa’í nous propose d’intervenir auprès des jeunes en soirée. Sous forme d’un atelier-discussion, nous présentons notre démarche pour la promotion d’une culture de la paix et racontons les initiatives que nous menons dans ce sens : le tour du monde, l’implication des écoles, le projet au Paraguay. Nous tentons ensuite d’apporter aux jeunes des outils et du recul sur leur travail d’expression théâtrale qu’ils présentent les samedis matin devant le Panthéon : Comment exprimer un propos de manière claire et concise ? Comment le rendre le plus universel possible ?


art-terre - parlamento jovenDurant la semaine qui suit, comme ce sont les vacances, nous profitons du temps libre des jeunes pour passer du temps ensemble. Maia et Carmen, qui travaillent comme volontaires au sein du Centre Mil Solidarios, nous entrainent dans les activités qu’elles mènent auprès des enfants. Nous organisons également deux projections de films documentaires pour débattre sur le thème de l’agriculture et de l’action non violente comme outil de promotion de la justice sociale.

 

 

Suite à notre présentation, Camela et Gloria, toutes enthousiastes, nous convient à une réunion qu’elles ont initiée et qui vise à rassembler sous forme associative des jeunes appartenant à divers collèges de la ville d’Asunción. Le but est de créer un espace commun pour mener des projets, réfléchir sur des thèmes de société, faire venir des formateurs dans divers domaines, organiser des évènements, des actions de solidarité… Elles pensent que la présentation de notre expérience lors de la réunion de lancement de leur projet peut motiver les troupes en montrant que tout est possible… même si ça parait irréalisable.


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A vos postes…

Gaëlle et Fabien

 


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