Le Paraguay, vu de là-bas

 

Participation

les Art-terriens, le 7 juin 2011,

 

Notre visite au Paraguay est arrivée à son terme, et nous voilà de retour en France. Pendant notre séjour, nous avons été très occupés et nos écrits se sont fait dépasser par le temps. Mais comme nous voulons tout vous raconter, nous allons continuer d’écrire et de mettre en forme nos notes sur ce site, si bien que vous pourrez continuer à suivre l’aventure, même en différé. Peu importe puisque nous n’avons pas de scoop, juste la richesse du temps passé avec les gens.



Nous croisons un jour Alba dans la rue. Elle nous avait déjà proposé de passer à son bureau pour connaître son travail, mais nous avions toujours eu d’autres priorités. Ce jour-là, c’est l’occasion, et nous la suivons jusqu’à la Gobernación, qui serait l’équivalent de notre Conseil Général, montons au premier étage et passons sa porte où est inscrit « Centro Puertas Abiertas, Casa de la Justicia », qui signifie « Centre Portes Ouvertes, Maison de la Justice ». L’étage est en plein travaux de rénovation, tout comme l’office : les meubles sont poussés, le sol recouvert de poussière de gravats, l’ordinateur protégé par un drap… Mais l’accueil chaleureux d’Alba et sa motivation nous font oublier le chantier.

 

art-terre - puertas abiertas


Alba est la coordinatrice du centre « Puertas Abiertas », qui a pour objectif l’accès à la Justice pour tous. En ce sens, elle reçoit les plaintes et les transmet aux services concernés, elle oriente les gens vers les interlocuteurs compétents, elle informe sur les droits et devoirs des citoyens… Mais ce qui l’intéresse le plus, c’est la médiation pour la résolution des conflits. L’objectif est d’amener, par un regard extérieur, deux parties d’un conflit à trouver un arrangement à l’amiable avant de s’engager dans des procédures judiciaires. Il peut s’agir de deux voisins qui ne s’entendent pas, d’un couple séparé qui ne s’accorde pas sur la pension alimentaire des enfants, etc.… Mais il peut s’agir aussi d’habitants d’un quartier qui souhaitent que la Municipalité rénove une rue ou bien qu’elle organise le ramassage des ordures…

Le travail de médiateur est de prévenir les conflits en amenant les gens à connaître leurs droits et leurs devoirs, ce qu’est leur responsabilité citoyenne, à connaître les institutions, leurs rôles… tout ce qu’on appelait autrefois chez nous « l’éducation civique ». En ce sens, les médiateurs travaillent en réseau avec de nombreux partenaires (Municipalité, Pouvoir Judiciaire, Ministère Public, Forces de l’Ordre, Société Civile, Ministère de l’Education et de la Culture) pour sensibiliser les citoyens. Avant, nous explique Alba, les gens n’osaient même pas entrer dans l’enceinte de la Gobernación, il en avait peur ! L’accès à l’information de base, qu’une part importante de la population n’a pas, est donc une priorité : qu’est ce qu’une Municipalité ?, A quoi ça sert ? etc… Pour cela, Alba intervient dans les écoles et les collèges. Ces formations, outre le fait de sensibiliser les jeunes, permettent en plus d’identifier leurs besoins. Alba leur demande ce qu’ils voudraient de la Municipalité, ce qui leur manque… « Si ton papa était maire, qu’est-ce que tu lui demanderais ? »

Le projet du centre Puertas Abiertas a pu être mis en place grâce à l’appui de trois ONG : US AID, le CIRD (Centro de Información y Recursos para el Desarrollo) et le CEJ (Centro de Estudios Judiciales).

Tout a commencé il y a trois ans par une formation qui avait pour titre « Médiation et table de dialogue » et qui a réuni 37 participants : des responsables de communautés, d’organisations locales rurales ou de quartiers, des responsables associatifs, des fonctionnaires… Alba a suivi tout le cursus de deux années et vient d’être nommée à la coordination du centre. Du coup, elle nous explique son parcours.

Alba s’est toujours beaucoup investi dans la vie locale. Elle était au départ vendeuse ambulante, et dans ce cadre, elle avait été nommée à la présidence de l’association des vendeurs ambulants pour représenter leur cause. Elle faisait partie aussi de la commission des mères isolées et de celle de la zone urbaine de la ville quand elle travaillait à la Municipalité de San Pedro, et soutenait politiquement l’ancien maire. Pour les élections présidentielles de 2008, elle a appuyé la campagne de Lugo, l’actuel Président de la République. Elle s’est investie aussi pour l’actuel gouverneur. Autant vous dire qu’Alba est une personne active !

A l’installation du nouveau gouverneur, elle a eu l’opportunité de rencontrer les personnes du CEJ, et leur a parlé de son parcours. Ceux-ci étaient en train de mettre en place la formation à la médiation, et l’ont intégrée aux participants.

A la fin de la formation, deux ans plus tard, la directrice du CEJ a demandé aux personnes qui en sortaient d’évaluer leurs besoins, de proposer un projet avec des objectifs. Alba et ses collègues ont présenté un projet d’office, avec l’objectif de créer un lieu ressource sur le thème de l’accès à la justice. Un an plus tard, le centre Puertas Abiertas est né, et Alba a été chargée de sa coordination.

 

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En ce moment, le Centre Puertas Abiertas organise, en partenariat avec le CEJ, un cycle de formations gratuites sur le thème de la nouvelle loi instaurant le fonctionnement et les compétences de la Municipalité. Les intervenants sont des juristes du CEJ, ainsi qu’un avocat qui a travaillé à l’élaboration du texte de loi, appelé « Nueva ley orgánica del Municipio ».

Le CEJ est une ONG paraguayenne dont l’objectif est de renforcer la démocratie et la justice dans le pays. Ils interviennent depuis trois ans à San Pedro dans le cadre d’un projet qu’ils ont nommé « construire la démocratie participative dans notre ville, les femmes et les jeunes comme protagonistes du développement local » (construyendo la democracia participativa en nuestra ciudad, Mujeres y Jóvenes protagonista del desarrollo local). La formation des femmes est visée pour son effet multiplicateur, car en effet, les femmes transmettent leur apprentissage à leurs enfants, leurs voisinages, etc. Celle des jeunes est aussi une priorité, car les jeunes rêvent, ont l’énergie de vouloir faire avancer les choses, et ce sont eux qui portent le présent.

C’est dans le cadre de ce projet qu’Alba a pu suivre la formation de médiateur et que le centre Puertas Abiertas a pu voir le jour. Le cycle de formation proposé aujourd’hui est la continuité de ce projet.

Dans la salle, une cinquantaine de personnes est venue suivre le cursus. Certains sont des étudiants, d’autres sont des responsables de communautés rurales ou d’associations de quartiers, d’autres sont des employés de la Municipalité ou de la Gobernación.

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L’intervenant, Mariano, explique que la nouvelle loi est un outil pour utiliser notre pouvoir de citoyen et améliorer nos communautés. En ce sens, elle touche tout le monde, puisque chacun a un rôle au sein de sa communauté. Il utilise l’exemple de l’insécurité, qui selon lui ne se règle pas en mettant plus de police, mais en instaurant de la confiance et du lien entre les citoyens. Nous pouvons exercer notre pouvoir de citoyen par la participation. Le premier pas est de contribuer aux décisions, notamment en votant.

Mariano explique que la Constitution est le contrat social de la société d’un pays, elle pose les bases de son fonctionnement. Celle du Paraguay explique dans son premier article que « la République du Paraguay adopte pour son gouvernement la démocratie représentative, participative et pluraliste, fondée sur la reconnaissance de la dignité humaine ».

Avec la fin de la dictature (tombée en 1989), le Paraguay a pu réformer tous ses fondements. En 1992, la nouvelle Constitution a été établie, et dans la foulée a été réformé le Code du travail.  Un nouveau Code pénal à vu le jour en 1997 qui a instauré la présomption d’innocence : avant il fallait démontrer l’innocence, aujourd’hui il fat démontrer la culpabilité. En 2010 est révisée la loi organique de la Municipalité, qui selon Mariano, était le système le plus conservateur dans le sens ou les municipalités n’avaient aucune responsabilité ni autonomie, la population ne pouvait rien réclamer ou proposer, n’existant aucun espace offrant un mécanisme de participation citoyenne.

Mariano définit la démocratie comme un système d’organisation politique dont le pouvoir est aux mains du peuple. Un tel système permet le fonctionnement de l’Etat à travers des mécanismes de participation directe et indirecte :

. la démocratie représentative : les décisions sont adoptées par des personnes reconnues par le peuple comme représentatives, notamment à travers les élections.

. la démocratie directe : les décisions sont adoptées directement par le peuple, par exemple dans le cadre des conseils de quartiers.

. la démocratie participative : les citoyens on la capacité de s’associer et de s’organiser afin d’exercer une influence.

Dans cette dernière, c’est l’union et l’organisation du plus grand nombre possible de citoyens qui permettent d’installer des rapports de force et des prises de pouvoir. Il peut s’agir d’actions de résistance (blocage, pétition…), de choix de consommation (boycott…), d’actions culturelles (festival, rassemblement…), etc. Mariano explique que les lois donnent un cadre, mais c’est la participation citoyenne qui donne la force aux lois et permet d’avancer. C’est ce qui fait la différence entre une société capitaliste d’une part, où l’élite a le pouvoir et où chacun vit pour soi peu importent ceux qui tombent, et une société participative d’autre part, où les citoyens, réunis en organisations de la société civile, mettent en commun leurs capacités pour un objectif commun. Bien sûr, cette dernière impose un travail plus lent et qui ne montre pas de résultats immédiats, c’est un processus.

La participation citoyenne se doit d’être transparente, éthique et efficace. Dans ce sens, il est nécessaire de respecter certaines règles d’organisation. Les décisions doivent être prises à travers des stratégies qui permettent la participation de la majorité des membres. La valorisation des actions doit être en fonction de leurs contenus et de leurs effets par rapport à l’objectif du groupe. Les fonctions sont établies et déléguées aux membres disponibles et capables de les développer. L’information est un élément de cohésion et d’appartenance au groupe.

Selon Mariano, il existe plusieurs niveaux de participation. Le premier niveau, c’est d’accéder à l’information, diffuser les connaissances, se tenir informé. Pour lancer une action, il faut détenir l’information précise et de qualité quant aux faits, aux lois… aller les chercher à la source et non se contenter de la rumeur. Il précise que durant la dictature stroniste, on a habitué les gens à ne pas parler, ne pas débattre, ne pas ouvrir les livres. Le guarani était même interdit. L’objet était justement de tenir la population non informée. Le second niveau est de proposer dans une démarche constructive. Le troisième de décider. Le quatrième niveau est celui d’agir, c’est-à-dire de mettre en pratique des actions concrètes, d’exécuter les décisions prises, de gérer des activités, des tâches, comme par exemple le travail volontaire.

 

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Pour chacun, les conditions pour la participation citoyenne, c’est de vouloir (participer est un choix), de savoir (mettre en jeu ses capacités), et enfin pouvoir (profiter d’espaces de participation).

Selon Mariano, le grand pas de la nouvelle loi organique de la Municipalité, c’est justement qu’elle offre des espaces de participation, comme par exemple les conseils de quartier, qui permettent aux citoyens de la solliciter sur ses compétences.

La loi organique définit les champs de compétence des Municipalités : infrastructure publique et services, transport publique et transit, environnement, lieux de spectacle, patrimoine historique et culturel, santé, hygiène et salubrité, éducation, culture et sport, développement productif, développement humain et social. Elle leur impose également de prévoir, dans les 5 ans et en collaboration avec la société civile, leur plan de développement durable et d’urbanisation. C’est dans ce sens que le CEJ accélère les formations, pour que le plus grand nombre de citoyens puissent s’impliquer dans les grands travaux de toutes les Municipalités du pays.

Il faut remettre toute cette action en perspective avec le passé dictatorial du pays, où les gens étaient laissés dans l’ignorance et n’avaient qu’à suivre, où ceux qui prenaient des initiatives citoyennes risquaient leur peau… Il y a du travail à rattraper ! Aujourd’hui, de nouveaux espaces de participation se mettent en place, et les gens semblent très motivés pour s’impliquer, pour avoir un rôle dans la construction de leur société.


Au boulot…

Gaëlle et Fabien

 

 

 

 

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