Le Paraguay, vu de là-bas

 

Colectivo

les Art-terriens, le 7 juin 2011,

 

Notre visite au Paraguay est arrivée à son terme, et nous voilà de retour en France. Pendant notre séjour, nous avons été très occupés et nos écrits se sont fait dépasser par le temps. Mais comme nous voulons tout vous raconter, nous allons continuer d’écrire et de mettre en forme nos notes sur ce site, si bien que vous pourrez continuer à suivre l’aventure, même en différé. Peu importe puisque nous n’avons pas de scoop, juste la richesse du temps passé avec les gens.

 


Quand nous sommes venus en 2008 à San Pedro de Ycuamandyyú, nous étions hébergés dans une maison de l’Université où était employé Marcelo. Dès que ce dernier finissait son travail, il nous rejoignait et nous montrait ses danses pendant de longues soirées. Dès nos retrouvailles en 2011, l’envie d’apprendre et de nous enrichir mutuellement de nos connaissances artistiques est toujours aussi vive… danse, musique, théâtre… L’enthousiasme avec lequel Marcelo embraye le pas nous motive encore plus. Notre ami travaille durant la journée et étudie le soir, mais nous parvenons à réserver des créneaux pour pratiquer, en matinée, en fin de semaine ou en soirée. Comme il le dit lui-même, il ferait tout pour la Culture ! Nous commençons notre initiation à la polka paraguayenne, ainsi qu’à des danses argentines comme la chacarera et le malombo. De son côté, Marcelo s’essaye à la bourrée, à la mazurka… et au théâtre. Un pas de danse vers l’autre, pour mettre un pied dans sa culture et dans son univers.

 

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Les échanges avec Marcelo ne se résument pas à la pratique artistique. Comme avec les autres personnes que nous rencontrons à San Pedro, nous participons aux activités de la vie locale : aller à la pêche, retrouver les amis au terrain de volley, boire un verre sur la place, assister aux matchs de foot en salle ou suivre les grandes équipes du pays à la télévision, cuisiner, aller au marché ou dans les boutiques du quartier, chanter et jouer de la musique les nuits de peña… Nous avons le temps de nous imprégner du quotidien et des habitudes locales, avec beaucoup d’écoute et d’observation, en nous mêlant aux gens, en adoptant leur mode de vie et leur rythme… presque à en oublier la France ! Même si certains décalages subsistent et nous rappellent soudain à nos origines, sans prévenir. Cette immersion dans la vie de San Pedro nous permet d’accéder non seulement à l’apprentissage mécanique de pas de danses et de mélodies mais aussi et surtout à l’émotion qui les entoure, les sentiments qui les accompagnent, l’énergie qui les anime.

La confrontation à la différence de mode de vie, de rythme, de culture, d’habitudes… provoquent des questionnements de part et d’autres et amènent régulièrement à de longues discussions. Pourquoi le temps paraguayen semble-t-il élastique, tandis qu’en France, les gens paraissent toujours courir après l’heure ? Pourquoi au Paraguay on partage son verre alors qu’en France, on nous préconise de ne pas faire la bise à nos collègues de boulot ?... Et finalement, c’est quoi le bonheur ? Nous partageons toutes ces réflexions avec Marcelo au cours de longs échanges réfléchis et francs sur notre façon de voir l’autre. Nous tentons de deviner et comprendre la culture de l’autre, puis de décrire chacun la sienne avec distance et discernement. Nous dégageons des thèmes qui nous semblent révélateurs : la manière d’appréhender le temps, la relation à l’autre, au travail, à l’argent, au matériel, à la vie…

 

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Grâce au théâtre, nous mettons nos musiques et nos danses au service de notre réflexion, et aboutissons à un spectacle dont le propos interroge et défend la richesse de nos différences. Un spectacle qui soit le fruit d’une belle rencontre et de deux mois d’immersion dans une petite ville paraguayenne au cours desquels nous avons simplement partagé le quotidien des habitants. Un spectacle qui raconte simplement la vie ordinaire des gens ordinaires, sans frou-frou ni éclat. Un spectacle qui rend hommage aux personnes que nous avons côtoyé, et dont nous avons apprécié la gentillesse et la générosité.

Son titre, « Colectivo », fait référence d’une part aux colectivos paraguayos, les transports en commun multicolores qui arpentent les routes et les pistes du pays, et d’autre part au travail collectif et volontaire que nous avons mené pour le créer.

« Los colectivos toman cada uno caminos distinctos. Llando curva y lineas rectas, dependiando de donde vienen y a donde van. Son como mundos lanzados sobre sus destinos, dentros de los cuales se cruzan los pasajeros. Estos sean gordos o flacos, altos o pequenos, negros o blancos, tienen que encontrar cada uno su propio equilibrio en cada curva o golpe de freno… »

« Les transports collectifs empruntent chacun des chemins distincts. Arpentant virages et lignes droites, selon d’où ils viennent et où ils vont. Ils sont comme des mondes lancés sur leurs destins au sein desquels se croisent les passagers. Ceux-ci, qu’ils soient gros ou maigres, grands ou petits, noirs ou blancs, doivent trouver chacun leur propre équilibre à chaque courbe ou coup de frein. »

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« Colectivo » sert la vie simple sur un plateau ! Un plateau musique, théâtre et danse ! Cette vie là est mise en scène pour faire sourire ceux qui la connaissent déjà, pour éveiller ceux qui l’ignorent, pour toucher ceux qui la dénigrent. « Colectivo » propose une réflexion sur le monde. Il cherche à valoriser la différence et la diversité, à trouver une manière de faire découvrir et aimer la culture paraguayenne au travers de la culture française et vice versa. Comment mieux apprécier ses propres richesses qu’en découvrant celles des autres ? Comment mieux valoriser ce qui distingue et identifie l’autre qu’en découvrant ce qui nous distingue et nous identifie nous-mêmes ? Comment mieux s’intéresser à l’autre qu’en le découvrant différent de soi-même ? Notre spectacle veut symboliser cette découverte, cet échange, cet aller-retour, cet apprentissage mutuel avec respect et intérêt réciproque.

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Comme un spectacle n’a d’intérêt que s’il est présenté à un public, nous organisons un festival pour présenter notre travail aux habitants de San Pedro. Monsieur le gouverneur nous prête gracieusement une salle pour les dernières répétitions et pour la soirée, il nous offre même une décoration de grands tissus tricolores : rouge, blanc, bleu ou bleu, blanc, rouge… tout dépend du sens du regard ! Nous invitons les danseuses du Ballet Municipal d’Antequera que dirige Marcelo pour qu’elles présentent quelques unes de leurs chorégraphies, ainsi que le groupe de théâtre que nous avons monté avec des jeunes de San Pedro pour qu’ils jouent leur pièce « Participation à San Pedro ». Une bonne soixantaine de spectateurs y assistent et sont enchantés, la soirée est un succès d’autant plus que nous apprenons quelques jours plus tard que de nombreuses personnes ont admiré le spectacle de l’extérieur, à travers les vitres, parce qu’elles n’osaient par entrer dans la salle !

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Quelques jours plus tard, quand arrive le moment de quitter San Pedro, nous avons un peu l’impression de quitter notre maison, nous nous sommes sentis tellement bien ici. Bien que chargé d’émotion, notre départ est plus léger qu’il y a deux ans : l’avenir ne peut désormais plus s’envisager sans un retour, le lien est noué, nous reviendrons... Cependant, nos amis paraguayens nous le rappellent régulièrement, personne ne sait ce que réserve l’avenir. Soyons déjà heureux de ce que nous avons vécu, de ce que nous vivons, avant de nous projeter dans un hypothétique futur. Toujours est-il qu’arrivés à Asunción, la capitale, nous souhaitons prolonger l’aventure sanpedranaise. Quand nous avions plaisanté avec Marcelo sur le délire d’aller présenter notre spectacle à la capitale, il nous avait pris pour des fous. L’heure nous est venue de relever le défi !

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A Asunción, le Señora Nilda nous accueille comme prévu dans l’appartement situé au-dessus de sa librairie pour que nous animions une matinée de musique et de conte pour des enfants au sein de sa boutique. Nous leur racontons notre grand voyage au Paraguay, entrecoupant notre récit de musiques françaises et paraguayennes. Quand nous remarquons le peu d’enthousiasme de la part des spectateurs pour leur polka traditionnelle et pour la langue guarani, tandis qu’ils s’émerveillent de nos mazurkas ou de nos valses françaises, notre motivation se démultiplie et nous sommes fermement déterminés à présenter « Colectivo » à la capitale. Notre mélange de musiques traditionnelles françaises et paraguayennes met sur un pied d’égalité les danses, les airs et les cultures traditionnelles de chacun, tandis que le théâtre apporte une forme moderne à l’ensemble. La représentation de « Colectivo » à Asunción nous apparaît désormais comme un acte militant dans le but revaloriser la culture traditionnelle paraguayenne aux yeux des habitants de la capitale. Nous observons effectivement que le modèle occidental tend à être perçu comme un eldorado qui pousse les gens à se jeter dans la gueule des gigantesques malls et shopping center au détriment de la base de leur identité : la culture, la musique, la langue, les savoir faire… Utilisons donc ces représentations pour valoriser la culture paraguayenne à travers la culture française et vice-versa.


La Señora Nilda prolonge son accueil quand nous lui parlons de notre projet, pour que nous puissions entreprendre les démarches nécessaires. Nous sommes touchés par la confiance qu’elle nous accorde, en nous laissant l’appartement de sa librairie Fausto Cultural. Nous aimons admirer le lever du soleil de la terrasse du toit en sirotant un maté bien chaud, ou nous relaxer dans le patio une fois la boutique fermée. C’est du grand luxe ! En journée, nous défendons notre spectacle et notre projet auprès de la Municipalité, l’Université Nationale, le Secrétariat de la Culture, le Centre Culturel de la ville, l’Alliance Française… Les démarches prennent plusieurs jours, et quand Nilda ne peut plus nous accueillir, nous avons la chance de rencontrer le jour même Alejandra, qui nous propose l’hospitalité. Elle vit dans une vieille maison du centre de la ville qui a résisté à la démolition grâce à son architecture en forme de bateau.

Alejandra travaille à l’Alliance Française comme directrice de la Culture, et est très impliquée dans la Coalition pour la Diversité Culturelle dont elle préside la branche paraguayenne. Nous nous retrouvons sur de nombreuses idées à défendre ! Avec efficacité, Alejandra s’empare de notre projet et nous oriente vers le Viceministère de la Jeunesse, rattaché au Ministère de la Culture et de l’Education qui n’existe que depuis trois ans. Elle nous accompagne à un rendez-vous avec la Vice-ministre en personne, qui nous accueille avec enthousiasme en nous faisant spontanément et simplement la bise. Quelle surprise !

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Nous nous présentons, exposons nos actions menées au Paraguay et notre projet de jouer « Colectivo » à Asuncion. La Vice-ministre, Diana, après nous avoir écouté attentivement, est emballée et nous répond qu’elle va nous soutenir, à la fois pour que Marcelo puisse venir jusqu’à la capitale, et pour que l’entrée gratuite au spectacle permette à des personnes de tout âge et de tout milieu d’assister à la représentation. En une dizaine de jour, avec une équipe de choc, Alejandra et Tristan de l’Alliance Française ainsi que Laura et Cesar du Vice-ministère de la Jeunesse, nous organisons tout pour le grand jour : date, lieu, salle, affiche, diffusion. Nathalie, la directrice de l’Alliance Française nous permet d’utiliser la magnifique salle Molière. Judith nous offre un créneau de dernière minute à la Radio Nacional del Paraguay pour annoncer notre évènement. Marcelo prend une journée de congé et se prépare à deux nuits blanches de transport… La bonne volonté de chacun permet à l’impossible d’arriver !

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La représentation se déroule le mercredi 27 avril au soir… alors que nous volons pour la France le vendredi 29 avril au matin. C’est un couronnement inespéré de notre projet et une belle fête de départ, une montagne de cerises sur le gâteau ! Marcelo nous rejoint en colectivo entre deux journées de boulot. Il ferait tout pour la Culture… et ne louperait pour rien au monde une pareille aubaine !

La soirée est lancée. Marcelo, caché à quatre pattes derrière le rideau, regarde le public rentrer, un nœud au ventre. Un bref discours de présentation ouvre le rideau. Puis c’est l’immense joie d’être tous les trois ici sur la scène, de faire vivre un petit bout de San Pedro et de notre histoire commune ici dans la salle Molière de l’Alliance Française. Des rires, des applaudissements chaleureux, des commentaires valorisants, des félicitations, des bises et une photo en souvenir... « Colectivo » a plu, même à la capitale, dans un lieu culturel reconnu… le défi est relevé.


Nous avons à peine le temps de profiter de cette euphorie que Marcelo doit courir rejoindre le bus qui l’emmènera jusqu’à San Pedro pour embaucher au petit matin. Une part de rêve s’est réalisée, qui donne des ailes et nous permet d’envisager de nouveaux horizons…

Tiens, si on présentait « Colectivo » en France ?!

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Alors à vos agendas !

Gaëlle et Fabien

 

 

 

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